Serge OLDENBOURG, dit SERGE III (1927-2000)
Peintre, performeur, sculpteur, il fait partie des artistes Fluxus avec lesquels il réalisa de nombreuses performances. Son journal de prison écrit en cellule, au jour le jour, relate les quatorze mois qu'il a passés dans les prisons tchécoslovaques pour avoir donné ses papiers à un soldat qui voulait quitter son pays.
Extrait de l’autobiographie de Serge III (arrêtée en 1984) :
« Ma première rupture avec l'art classique des années 50-60 fut en février 1962. Bien avant que j'entende parler de Happening, j'ai proposé, pour 1 Franc, mon âme à Ben. Le but était de traiter avec dérision ce que d'autres prennent tellement au sérieux. C'était la première, mais non la dernière fois.
Ensuite, je détruisis discrètement et tranquillement toutes les peintures, paysages et natures mortes que j'avais réalisés auparavant.
Ma première œuvre "contemporaine" fut, sur une planchette, d'écrire :
"Ne tuez pas mes araignées".
Autrement dit, interdiction de toute ingérence dans mes plafonds.
Le fait d'écrire a été probablement inspiré par Ben. Puis un jour, étant en blue jeans, j'achetai dans un tabac des Gauloises bleues et des Gilettes bleues. Je réalisai que le bleu était une couleur importante et même la plus importante. Par exemple, Côte d'Azur, le ciel bleu, la mer bleue, le voile de la Vierge, le sang bleu, le bleu roi, etc. Dans le commerce, dans la publicité le bleu est la couleur choc qui s'impose et fait vendre ; Donc je me suis mis à rêver d'un monde bleu. Je n'avais pas encore entendu parler de Klein et je me mis à peindre en bleu tout ce qui me tombait sous la main. Je n'utilisais pas uniquement le bleu outremer de Klein mais tous les colorants bleus du bâtiment, les laques, les paillettes de bronze bleu et l'aniline. Mon idée n'était pas le monochrome et je peignais aussi des tableaux abstraits avec les bleus différents. Où sont ils ? J'ignore, je ne travaillais pas pour la postérité. Puis, après avoir fait le projet de peindre Nice en bleu avec des fusées chargées d'aniline, je me désintéressai du bleu.
En juiIlet 1963, George Maciunas passe à Nice et avec Ben, organise des pièces Fluxus de rue, de bistrot et un concert à l'Hôtel Scribe. Entre autres pièces, Ben réalise le "Violon Solo de Nam June Palk" et brise le violon sur une table. C'est le coup de foudre et une révélation. Je me fais dédicacer un morceau de violon par Ben. Au début 1964, Ben, avec d'autres et moi même, réalise deux concerts Fluxus à Nice puis tous les deux nous montons à Paris pour le Festival de la Libre Expression qu'organisait Lebel. Concert Fluxus dans lequel je joue à la roulette russe avec un vrai revolver et une vraie balle. Deux amis, Robert Bozzi et Una Lintkus voulaient m'empêcher de le faire et j'ai été obligé de leur dire que le révolver ne serait pas chargé. D'où le bruit qui courut comme quoi le révolver n'était pas chargé. Il l'était, et Robert Filliou, qui devint un de mes amis les plus chers en a toujours témoigné, parce qu'il m'avait vu tout de suite après ma performance. Un jour de 1964, je pense, je lus que les Grecs de l'Antiquité décoraient leurs amphores, non pour la postérité, mais pour inciter le consommateur à acheter le vin qu'elles contenaient. De là j'ai réalisé que le contenant est toujours fonction du contenu et que primitivement le contenu prime toujours le contenant. Contenu-contenant, message-langage, fond-forme, même combat. Pour matérialiser le concept, je fis des moulages intérieurs de contenants. Soit des contenus de bouteilles, paquets de cigarettes, de café, appareils photos, armoires.
J'ai réalisé des contenus d'armoire pour Sigma 5 à Bordeaux en 1969, au Musée d'Art Naïf à Flayosc en 1973, à Porto (Portugal) en 1974 et au Centre Georges Pompidou en 1977. Puis, prenant à rebours le souci des peintres de réaliser des œuvres qui durent des siècles, je fais des tableaux dont les couleurs disparaissent à la lumière. Je réalise aussi deux toiles avec des peintures qui ne sèchent pas. Je suis obligé de m'en débarasser parce que ne séchant pas, le moindre contact repercute la peinture sur les mains, sur les vêtements et partout, c'est un cauchemar. En octobre 1966, nous partons Ben et moi pour présenter des Happenings et concerts Fluxus à Prague. Nous y faisons deux prestations avec Dick Higgins, Allison Knowles et Milan Knizak. L'ambiance générale est pesante, l'endroit où nous sommes logés est inconfortable et insalubre. Ben décide brusquement de partir. Je lui rappelle que les Tchèques attendent encore deux séances mais il ne peut supporter d'attendre le week end puis encore deux jours -, il part. La suite est racontée dans mon "Journal de prison". Je donne mon passeport et un costume à un soldat. Il va faire ses adieux à sa petite amie en lui disant par qui il a eu vêtements et passeport et fiche le camp en Autriche. La petite amie commence à tout raconter à Knizak et à d'autres et puis va dénoncer tout le monde à la police. Arrestation. Six mois de préventive. Jugement. Appel. Condamné à 3 ans de privation de liberté. Je suis emmené à la section des étrangers de la prison de Prague. Après quatorze mois de prison on m'expédie en France, échangé contre un espion tchèque. La prison ne m'a pas changé, j'y avais toujours affirmé que j'étais un homme libre avec une prison autour. Par contre, j'y ai pris conscience de moi-même, d'une certaine force morale, d'une certaine solidité. J'étais plus sûr de moi. J'y ai pris conscience également que l'essence de l'art est subversive, que le geste artistique étant une réaction de l'individu contre le milieu, le but, conscient ou inconscient de ce geste est de persuader ce milieu de se modifier. Je ne répèterai jamais assez qu'il ne faut pas confondre subversion et contestation. La contestation est une protestation directe et partisane contre un état de choses, la subversion suggère un processus de pensée qui pourrait aboutir à la protestation. Autrement dit, la contestation est l'aboutissement d'un processus, alors que la subversion en est le point de départ. Mars 1968, Marcel Alocco organise une exposition à Lyon, chez Guinochet et Guillaumon, une exposition sur les nouvelles tendances de l'Ecole de Nice. Il m'y invite, ainsi que Daniel Biga, Emest Pignon, Saytour, Dolla, Strauch etj'en passe. Nous y monto-is, Jacques Strauch et moi en voiture. J'y présente des Christ et des croix. Des Christ sur porte-manteau, sur disque, dans une gaine de révolver, dans un aquarium. Pendant la prolifération des tendances formalistes support-surfaciennes, faire de la dérision, ce n'est pas sérieux. Concerts Fluxus à Avignon et à Florence.
En juin 1969 Ben et Merino organisent le Festival non-Art. Pour ce festival, je repeins en vinyl blanc tous les tableaux à ma portée et je les expose au Yati. Je le fais pour montrer que ce n'est pas I'œuvre originale qui est importante mais son contenu. Je ne détruis rien, car on peut revenir vers le passé et décaper le vinyl, rester au présent et garder la toile blanche ou aller vers le futur en repeignant autre chose à la place. C'est à ce moment que je réalise mon geste Auto-stop avec un piano. Ben m’avait dit que je ne sais quel type de Fluxus avait écrit un livre avec toutes les pièces possibles et imaginables pour piano. Je lui ai répondu qu'il pouvait en ajouter deux, auto-stop et navigation en piano. A la fin de l'année, l'Ecole de Nice est invitée à participer à Sigma 5 à Bordeaux. J'y participe en présentant un contenu d'armoire. C'est un travail de romain que de gâcher vingt sacs de plâtre et de les verser seau par seau dans l'armoire en montant sur une échelle. C'est à Sigma que j'ai bien sympathisé avec Claude Gilli. Il voulait faire un lâcher d'escargots mais les autres artistes avaient probablement peur de la bave et n'étaient pas très chauds. Sur quoi, j'ai dit à Gilli que je trouvais son idée très belle et qu'il pouvait les lâcher tranquillement sur mon contenu d'armoire. En 1970, invité à participer à l'expo Environs Il à Tours, j'annonce que je ferai quelque chose. J'y arrive en train le 7 mai à deux heures du matin et je m'écroule dans un hôtel. Le 8 au matin, je vais acheter un pistolet à amorces d'un aspect réaliste. Je passe voir les organisateurs, je leur dis mon projet et leur demande de convoquer la presse. Vers 15 h, je monte dans un autobus, deux minutes plus tard, je braque le chauffeur et lui ordonne de tourner vers la bibliothèque où il y avait l'expo. A la différence d'un avion, un car peut s'arrêter en plein vol, surtout s'il y a un agent de police à côté. Bref, arrrestation. Poste de police, fouille (à poil) interrogatoire. - Pourquoi vous avez fait ça ? - Pour faire un geste artistique. - C'est pas artistique !
L'année dernière, j'ai fait de l'auto stop avec un piano comme geste artistique, aujourd'hui j'essaye de détourner un bus.
- L'auto stop avec un piano, c'est artistique. Détourner les bus, non.
Que dire ? La nuit, la matinée, le début de l'après-midi au poste puis on me relâche.
Je passe voir les gens de l'expo et j'ai tout juste le temps de casser la croûte et de prendre le train pour Montpellier où se manifestent cent artistes dans la ville.
Là, j'organise un repas dans un restaurant entrée Yaourt potage Yaourt viande Yaourt légume Yaourt fromage Yaourt dessert Yaourt, boissons au choix.
En été 1970, je présente chez Ben la première série de Marines. Comme public, les copains et une visiteuse (devenue amie par la suite).
Le 2 septembre, je fais célébrer le centenaire de la défaite de Sedan. Dans une galerie éphémère située au Pont du Loup, j'ai présenté près d'une centaine d'objets ou drapeaux tricolores en déniant aux militaires l'exclusivité du drapeau et en revendiquant les trois couleurs pour tous les objets d'usage quotidien.
Entre temps, le tribunal de grande instance de Tours me juge par défaut et me condamne à 500 F d'amende pour violence avec préméditation pour le détournement d'autobus. Etant plutôt gêné financièrement, je fais imprimer une circulaire et je fais un appel au peuple pour payer mon amende. Très rapidement, le total à payer est couvert et même au delà, ce qui me permet d'éditer une petite plaquette (tirage de misère) relatant l'affaire, avec photocopie de documents à l'appui à l'usage exclusif des donataires (que je remercie de nouveau).
Pendant l'été 1971, Ben organise à la Galerie De La Salle, à Vence, une exposition sur paravents de ses copains. Un paravent, c'est trop peu par tête de pipe.
Avec Francis Mérino de Monaco, nous organisons une série de repas intitulé : FAITES LE VOUS MEMES.
Nous invitons une dizaine de personnes dans un restaurant et leur disons notre espoir qu'il en sortira quelque chose. Ce furent quelques soirées bien sympathiques, mais pas plus que les socio-drames, les socio-bouffes n'ont rien donné.
Il y eut à Flayosc (Var) un restaurant-galerie dont la charmante propriétaire patronnait des expositions d'art naïf présentées par Frédéric Altmann.
J'y allais assez souvent avec mon ami Francis Mérino et un jour, j’inventai un peintre naïf. Il y a eu le douanier Rousseau, le Facteur Cheval, il me fallait un gendarme, ce fut le gendarme Jean Cibalo (hommage à Brassens). Il n'empêche que le plumitif de Nice-Matin, édition Var, l'a cité en tant qu'un des futurs exposants de la Galerie. Il est vrai qu'en parlant de mon travail il a remplacé le mot subversion par le mot subvention (lapsus calami) ….. »
Quelques performances de Serge III :
Pièce pour violon (3/1964) - Tir à l'arc sur un violon - Peindre Nice en bleu (proposition) - 4 concerti de 4 tournées de pastis servies sur un piano - Roulette russe (4/1964) - Jouer à la roulette russe sur scène - Pièce pour espace (11/1964) - Ecraser un sac de bouteilles vides à coups de barres de fer - Colère de vaisselle (11/1964) - Rituel à coups de marteau sur service à café - Colère de vaisselle (11/1964) - Boire et offrir le verre du spectateur (11/1964) - Peinture de modèle (11/1964) - Peindre une jolie fille avec les mains -Chasse au Megatherium (hiver 1964/65) - Pièce pour piano n° 1 (6/1969) - Faire de l'auto stop avec un piano - Naviguer à la rame sur un piano - Roulette Russe, galerie Lola Gassin Nice.
Expositions personnelles
- 1969 Le Yati, Nice (Vinyls blancs)
- 1970 Galerie B.D.D.T, Nice
- 1973 Studio Ferrero, Nice ; Galerie Jacques Boudin, Nice
- 1974 Galleria Alvarez, Porto
- 1975 Galerie Jacques Boudin, Nice
- 1977
Le Bocal aux Sculptures, Nice.
-1978
Hétéroclite, Budos. Gironde ;
La différence, Nice ;
Art Marginal, Nice.
- 1979
Gallerla Dois, Porto.
- 1980 Calibre 33, Nice.
(Attention Art Méchant)
- 1981
Gallerla Tempo, Lisbonne ; Galerie Janus, Bordeaux.
- 1988
Ecole de Nice : Serge III, Galerie d'Art Contemporain,
Musées de Nice.
- 1988
Galerie Lola Gassin, Nice
; Galerie d'art contemporain des Musées de Nice
- 1989
Galerie J. Donguy, Paris (œuvres anciennes et récentes)
- 1990
Galerie G, Besançon
ClŽ des Champs, Nice (Contenus)
- 1991
Galeria Alvarez, Portugal (Surpresa catastrofica)
; Galerie le Regard sans cran d'arrêt, Dunkerque ;
Galerie Le Chanjour, Nice (oeuvres récentes)
- 1992
Galerie Satellite, Paris (Drapeaux) ; Galerie Donguy, Paris, (oeuvres récentes)
- 1994
Galerie le Regard sans cran d'arrêt, Dunkerque (Identifications)
; Galerie Satellite, Paris (Vérités pas bonnes à dire)
- 1999
Galerie Caterina Gualco
- 2000
Centre du Monde, Nice
Galerie du Lundi, Nice
Expositions collectives
- 1963
Participe à des happenings Fluxus
- 1964
Concerts Fluxus, Festival de la Libre Expression
- 1965
Festival de la Libre Expression, Paris.
-1966
Concerts Fluxus Céret et Prague
- 1968
Nouveaux aspects de l'Ecole de Nice, Lyon.
Concert Fluxus, Avignon
Exposition chez Guillochet et Guillaumon, Lyon
- 1969
Festival Non Art, Nice. Sigma 5 - Bordeaux.
- 1970
Environ II, Tours.
100 Artistes dans la ville, Montpellier.
- 1971
Paravents de Ben, Vence.
- 1972
M.J.C. de Pasteur et de Magnan à Nice, de Vence.
Jardin d'explosition, Saint Paul de Vence.
- 1973
Hors Langage, Théâtre de Nice ; Rencontres d'Art, rue du Temple, La Rochelle ;
Ecole de Nice, Studio Ferrero, Nice ; Festival d'Occitanie, Montauban ; Signal, Grasse. Lavage de drapeaux.
- 1974
Marginale 74, Marseille ; L'Art, la Rue, Annemasse ; Art contre Idéologie, Galerie Rencontres, Paris.
- 1975
Art sociologique, Lichtenstein ;
Festival du Livre, Nice ; Les Six Jours de la Peinture, Marseille
- 1976
Les Boites, l'A.R.C. Paris.
- 1977
M.J.C. Beauvais.
- 1978
Gal'Athée, Pêle-Mêle. Nice ; Nouveaux Langages, Limoges.
- 1979
Université du Mirail, Toulouse ; Fluxus International and Co, E.N.A.C. Lyon ; Fluxus Intemations and Co, G.A.C. Nice ; Célébration du Centenaire de Staline, Calibre 33, Nice.
- 1980
Objectif : Positif, Négatif, Calibre 33, Nice ;
llème Bienal de Vila Nova da Cerveira, Portugal ;
Situation Provence-Côte d'Azur, Créteil ; Galerie Alinéa, Toulon.
- 1980
Midi et Demie, Festival d'Avignon
- 1989
Galerie Interface, Nîmes ; CAC Pablo Neruda, Corbeil-Essonnes
- 1990
Biennale de Venise, (Fluxus 1962-1990) Trois diables, Nice
- 1994
Chapel Art Center, Heroes, Cologne ; Galerie J. Donguy ; Galerie Satellite, Paris