Anna Shanon (née en 1916)
Anna Shanon (Sternheim), peintre et collagiste née en 1916 à Lodz (Pologne), émigre en Israël en 1934. Elle suit un enseignement artistique à partir de 1938 à l’Ecole Betzalel de Jérusalem. De 1954 à 1988 Anna Shanon s’installe à Paris, et commence à partir de 1957 a montré ses premiers collages abstraits dans des expositions personnelles.
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« Elle réalise des collages aux teintes terreuses, obéissant à une construction géométrique légère. D’aspect fragile, ces compositions exploitent les diverses textures et accidents du papier. »
(Dictionnaire Bénézit)
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Anna Shanon par Annick Pély-Audan, Cimaise 1987
La main et l’oeuvre
Rien de brut dans les collages d’Anna Shanon qui manie les valeurs avec subtilité, avec doigté - au sens propre du terme. C est réellement dans la main que tout se passe, que l’oeuvre nait. Une main solide aux fortes articulations avec au bout des doigts la sensibilité, la légèreté : portrait d’une main, c’est le portrait de l’oeuvre. C’est dans ce creuset de chair que prend vie la matière. Une matière première à l’évidence, c’est la loi du collage mais une matière docile qui se soumet à la main, à la pratique d’Anna Shanon : le papier. Du papier vierge : pas un extrait de la réalité, pas un témoin fini, tout est à venir. Et pas n’importe quel papier : du kraft, de l’ordinaire. Si son premier collage était de soie - un foulard peint et raté - du foulard au papier de soie et du papier de soie au papier kraft.
Anna Shanon a suivi sa loi, celle de l’expérience, pour forger son expression à mains de géant, une expression qui exclut la préciosité - « trop de présence » - pour se concentrer en force. Pas de couleur, tout pour ta matière, seule une tache parfois, point d’orgue, accent tonique, fait graviter la composition, l’équilibre. Son jeu est celui des valeurs - celui des transparences - quelle décline du noir au blanc. Le blanc est alors celui du papier, fenêtre percée, trou qui aujourd’hui reste muré. Jamais elle n’ajoute, elle enlève. Collage ici, ne rime pas avec assemblage. Peint, trempé, collé, puis déchiré et froissé, le papier l’est en feuille, unité de base qui assure l’homogénéité de la structure. Tout, y compris le collage est préparations pour la déchirure. « Il ne faut pas vouloir, Il ne faut pas penser. Quand on déchire, il faut vite faire et avec les nerfs ». Energie, impulsion : de l’instantané. La déchirure n’est pas là agression, elle est expression.
L’essentiel s’y loge. « Il ne faut pas vouloir » : L’accident provoque l’étincelle que la main exploite. Pas de logique si ce n’est la loi du hasard que Anna Shanon s’efforce contre toute idée - dans le vide de sa tête et le sens de sa main - d’ordonner. L’ordre dans cette oeuvre d’instinct née au pouce à pouce, s’affirme comme un besoin impératif, vital. « Il faut que ça tienne, il ne faut pas que ça flotte ». Il s’agit d’ancrer la sensibilité sur de solides fondements. Construire donc, avant tout. Et la main ouvrière tisse un réseau de papier collé - quadrillage serré où les rapports de valeurs et de proportions se multiplient, hier, grandes plages où les doigts peuvent courir en surface, aujourd’hui - toujours basé sur un rapport orthogonal. Ainsi la géométrie s’introduit-elle dans une oeuvre où le plus court chemin pour relier un point à un autre n’est jamais la ligne droite mais une « ligne-vibration » : la déchirure qui porte en elle toute l’émotion de la rupture, lieu d’arrachement, temps de passage, éclair et durée - à la fois faille et ciment. Pour cela, trop secs, trop coupants, les ciseaux sont inhumains. Mieux vaut la main, la main nue.
L’oeuvre une fois charpentée, la sensibilité court à fleur de papier, tout est affaire de doigté. Le frémissement saisit la matière ainsi innervée. Plissage, froissage, la main imprime un mouvement, un rythme, un relief : du travail de sculpteur. Et ce n’est pas là un hasard si l’oeuvre qui entre toutes, frappa Anna Shanon à son arrivée à Paris dans les années cinquante est celle de Kemeny, ses reliefs avec les à-plats de Matisse. Anna Shanon impose sa propre voie : légèreté et transparence - un flirt de la matière avec l’immatériel.
Nerfs de l’expression, véhicule d’une sensibilité à vif, ou déchirure, l’un est le négatif de l’autre. L’architecture la plus forte pour l’expression la plus fine, femme du peintre abstrait géométrique Jean Delahaye, Anna Shanon dans son oeuvre comme dans sa vie, a épousé le contraste. Avec la précision de l’orfèvre, une acuité d’intuition telle qu’elle conjugue le grave à l’aigu dans l’extrême, elle bâtit son oeuvre, la modèle. Partition de silence, il s’y joue les fugues tactiles d’une perpétuelle quête de l’équilibre. Une main, une oeuvre - une flamme.
Expositions personnelles
1957 Galerie Arnaud, Paris
1972 Galerie La Roue, Paris
1974 Galerie Marcelle Berr de Turique, Paris
1980 Galerie Nane Stern, Paris
1984 Collages 1960 - 1980, Galerie Jaquester Paris
1985 Collages 1970 -1984 Galerie Jaquester, Paris
1987 Galerie Jaquester Paris
1992 Galerie Jaquester Paris
Ainsi que nombreuses expositions personnelles à l’étranger : Brésil, Portugal, Israël, Grande-Bretagne, Suisse, …
Expositions collectives
1964 - 50 ans de collages du cubisme à nos jours, Musée des Arts Décoratifs, Paris
1964 - Musée d’art et d’industrie, Saint Etienne
1965 - Acquisitions 1955 - 1965, Musée d’Art Moderne de la ville de Paris
1985/1986 - FIAC, Paris (Galerie Jaquester)
1991 - Rencontres, 50 ans de collages, Galerie Claudine Lustman, Paris
Bibliographie
- « Anna Shanon », in Les Nouvelles littéraires, avril 1976, n°2524
- « Anna Shanon, la main et l’œuvre », Extrait de Cimaise no 190, sept-oct 1987
- « Rencontres, 50 ans de collages », Françoise Monnin, Paris, 1991
- Dictionnaire des peintres et sculpteurs, Bénézit, Ed Gründ, 1999
Musées
Musée d’art Moderne, Paris
Musée d’art moderne, Metz
Musée d’art Moderne de Saint-Étienne
Musée de Betzalel, Jérusalem
Musée d’Art de Haïfa
Centre Contemporain de Rehovot, Israël.