Hans Richter (1888-1973)
Né en 1888, Hans Richter embrasse tout d’abord une carrière de peintre, travaillant exclusivement dans sa ville natale de Berlin. Marqué par les thèmes tourmentés de l’expressionnisme comme l’atteste sa série de « portraits visionnaires », un détour par le cubisme prouve que le jeune homme cherche encore sa voie artistique.
Son arrivée à Zurich en 1916 la lui révèlera. Point de convergence de nombreux artistes fuyant une guerre devenue mondiale, la cité alémanique baigne alors dans une effervescence intellectuelle dans laquelle Hans Richter se retrouvera. Il y fait la rencontre de Viking Eggeling, peintre suédois qui l’initiera aux formes de l’abstraction, et adhère au mouvement Dada.
L’esprit de révolte persifleur véhiculé par la pensée dadaïste, tout comme la contestation radicale de l’ordre social établi marqueront définitivement Richter. Il se lance alors dans une peinture principalement abstraite, fondée sur la décomposition du mouvement.
C’est en 1919 qu’il se rapproche de ses réelles aspirations en peignant son premier « rouleau » : suite de onze dessins développant un même thème sur un même support et véritable esquisse de son oeuvre cinématographique à venir.
« Après 1924, il n’y eut plus de Dada, mais les dadaïstes survécurent. Eggeling et moi, nous basant sur les impulsions de mouvements contenus dans ces rouleaux, nous commençâmes, en 1920, nos premiers essais de films abstraits. Eggeling devait finalement filmer son deuxième rouleau La symphonie diagonale et moi, mon Rythme 21. Bien qu’étant abstraits, ces deux films étaient très différents par l’esprit et la manière de poser le problème, puisque Eggeling partait de la ligne, alors que moi, je partais de la surface. Eggeling orchestrait et développait des formes, alors que je renonçais complètement à la forme pour essayer d’articuler le temps à des vitesses et des rythmes variés. »
(Hans Richter, Dada Art et Anti-Art, éd. de La Connaissance, Bruxelles, 1965.)
Pour Richter, les années 20 sont en partie consacrées à la théorisation et l’écriture. Il collabore ainsi à De Stijl, revue apparentée au mouvement du même nom, qui prône la radicalisation d’un ordre géométrique et instaure un langage nouveau fondé sur la diffusion des formes abstraites et sur la synthèse des arts de l’architecture, des arts décoratifs et des arts plastiques.
Il devient par ailleurs le créateur de G., publication pour artistes dont la typographie révolutionnaire serait à l’origine du « Constructivisme » qu’adoptera le jeune régime soviétique.
Mais cette décennie marque surtout le passage définitif de Hans Richter au cinéma. Film Studie (1926) clôt une première phase d’expérimentations où Richter tente de reproduire un rythme et un mouvement spécifiquement cinématographiques. L’avènement du nazisme portera un coup décisif aux productions de Hans Richter : Ghost before Breakfast est qualifié d’« art dégénéré » et interdit. Son auteur se réfugie alors en U.R.S.S. où il tente vainement de réaliser Metal, un documentaire d’avant-garde.
Les États-Unis lui permettront de donner un deuxième souffle à sa carrière. Parallèlement à sa fonction de directeur de l’Institut technique du film au City College de New-York, il réalise Dreams that Money Can Buy (1947) en collaboration avec divers artistes européens exilés comme lui (Fernand Léger, Marcel Duchamp, Max Ernst, Man Ray entre autres).
Entre 1944 et 1954, il réalise des grands rouleaux qui sont la fusion de son travail pictural et cinématographique. Ses œuvres font l’objet d’expositions personnelles à New York, Chicago, San Francisco, Paris, Bâle, Amsterdam.
Hans Richter aborde sa longue série des Pro-contra, large étude des formes opposées, négatif/positif qu’il retranscrit aussi bien par le collage que par la construction de relief en bois, carton et métal. En utilisant des carrés qu’il divise, il réussit à établir une nouvelle forme de continuité, obtenant des variations d’expression infinies pour ses reliefs ou de couleurs pour ses toiles, en utilisant le même module dans différentes positions.
« Il est une autre voie que Richter a ouverte, pratiquement en pionnier des expériences dont le succès n’est plus contesté. En effet, il a opéré la synthèse de deux ou plusieurs éléments formels traités d’ordinaire séparément ou en opposition, les uns avec les autres : le voulu et l’accidentel, le géométrique et l’amorphe, le conscient et l’inconscient. Il est probable que l’art d’utiliser le hasard était déjà connu des hommes du paléolithique ; il ya toute une esthétique de l’accidentel dans l’art oriental ;en revanche, jusqu’à présent l’art occidental n’a que rarement exploité méthodiquement le hasard. Richter le fait entrer dans son œuvre. On le voit constamment préoccupé par ce problème et rassembler, au cours des années, d’abondants matériaux pour incorporer le hasard à l’ordre : des éléments géométriques précis, unis ou fluctuant et, à l’amorphe, par l’intégration des contraires, engendré une nouvelle unité. Il atteint encore à la synthèse grâce à l’emploi de matériaux contrastés. Ainsi dans ses reliefs, il allie le métal (aux formes nettes) à du bois vermoulu, oppose les surfaces lisses aux surfaces rugueuses, la gravure en creux à la gravure en relief, et ainsi de suite. En un mot, Richter a accru les ressources de nombreux moyens d’expression artistique et, du même coup, enrichi les arts plastiques de nouvelles dimensions relatives à l’espace et le temps d’espace et de temps. Il a fait jaillir une source d’inspiration où des générations d’artistes pourront puiser ».
Herbert Read, 1965
« Chaque artiste arrive tôt ou tard dans sa vie à atteindre le point Zéro, le moment où ce n’est pas son travail qui lui paraît important mais son situ, la position qu’il doit prendre en tant qu’être spirituel. C’est le moment de son ultime réveil, où l’identité entre le travail et la personne – formés en partie de souhaits, d’expériences, de désirs – peut être établi. C’est à ce moment qu’il doit se débarrasser de ses assimilations et de ses habitudes. C’est le moment où Malévitch s’exprima avec son carré blanc sur fond blanc et noir sur fond noir. Ce ne sont plus des peintures ou des œuvres d’art mais des moments de purification, le résultat d’être arrivé au point Zéro, de décider d’oublier le Cubisme, le Futurisme, etc, et d’être sans tradition.
J’ai expérimenté ce point Zéro à plusieurs reprises sans pouvoir le définir aussi radicalement que Malévitch, ou Duchamp avec ses Ready-made. Je suis revenu après chaque Zéro au principe que j’avais tâtonné en 1917 /18, dans mes têtes Dada et mes abstractions, la simple relation entre le positif et le négatif ; conjunction oppositorum. Ceci est toujours aujourd’hui, de plus en plus clairement, mon point Zéro ».
Hans Richter, 1971
Principales expositions personnelles depuis 1950 (sélection)
- 1958 Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Milan ; Académie des Beaux-Arts, Berlin
- 1960 « Hans Richter, 40 ans de peintures-rouleaux », Galerie Denise René
- 1961 Stedelijk Museum, Amsterdam
- 1962 « Hans Richter » Galleria Civica d’Arte Moderna, Turin
- 1963 Galleria Pagani del Grattacielo, Rome
- 1966 Tokyo Gallery
- 1968 Finch College Museum of Art ; Byron Gallery, New York
- 1973 Galleria de Naviglio, Milan ; Galerie Denise René, New York
- 1975 Galerie Denise René, Paris
- 1978 Musée de l’Abbaye de Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne
- 1982 Académie des Beaux-Arts, Berlin ; Kunsthaus, Zurich ; Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich ; Galerie Springer, Berlin
Bibliographie (monographique)
- « Hans Richter » éditions du griffon, Neuchâtel, 1965
- « Hans Richter by Hans Richter », Ed. Cleve Gray, 1971
- « Hans Richter », La Nuova Foglio Editrice, 1978
- « Hans Richter, Malerei und Film », Deutsches Filmuseum, 1989